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Le temps d'un weekend

Le temps d’un week-end.

Géraldine, Joséphine, Louise et Maria, quarante ans se retrouvent chaque week-end du quinze août au bord de la plage d’Agay. Elles se connaissent depuis le lycée et bien qu’elles habitent maintenant, toutes aux quatre coins de la France, elles ont pris le pli depuis près de quinze ans de se voir ce week-end-là ! C’est sacré et pour rien au monde, elles ne rateraient ce rendez-vous. Elles ressentent le besoin de se voir, de partager, de rire, de crier, de pleurer, de s’enlacer. Reprendre là où elles se sont arrêtées. Mères de famille, professionnelles à responsabilités, Ce week-end, elles lâchent tout, elles se vident de leurs émotions, de leur joie, de leur colère. Festival de confidences.

Cette année, elles ont loué un appartement dans une résidence avec piscine, terrain de tennis et surtout une vue imprenable sur l’Esterel. C’est tellement beau l’Estérel qu’elles ne se lasseront jamais de le contempler. Elles prévoient de dormir à deux par lits pour le peu qu’elles y seront durant ce weekend. Le plein de course pour le petit déjeuner rangé, valises poussées sous les lits, maillots de bain enfilés sous leurs petites robes, elles quittent leur logement direction la playa !

Alors que les vacanciers quittent la plage avec leurs enfants, pelles, sceaux, râteaux et parasols,  les quatre quadras débarquent avec nappes, Mojitos, torches anti moustiques et lumineuses, pains, fromages, saucissons, rhum ambré et petites tomates. Géraldine allume sa base Bose branchée sur son IPhone qui crache à la suite les meilleurs titres de Janis Joplin, Chris Isaak, Nancy Sinatra et Portishead. La musique n’est pas là pour danser initialement mais pour marquer cette rencontre, donner un ton feutré empli de nostalgie et d’espoirs en la vie en l’avenir.

Alors que Janis Joplin entonne son Summertime, Toutes les quatre assises en ligne admirent la mer, les genoux remontés au menton, les cheveux au vent, le regard lointain. Un bonheur partagé entre elles-quatre. Moment de cohésion, d’amitié, d’amour.

Ce moment magique s’arrête net lorsque Géraldine annonce haut et fort :

  • On ne va quand même pas restées plantées comme des plantes à la con face à la mer !
  • T’as raison, on n’est pas là que pour ça ! Je prépare les Mojitos, enchaine Louise.
  • Bon, eh bien, nous, on se tape les toasts chantent Maria et Joséphine.

Géraldine se bat contre le vent pour faire tenir tant bien que mal la nappe en la lestant des sacs à main à chaque coin.

Les toasts sont prêts, les cocktails servis avec pailles, Jim Morrison chantonne Indian Summer, les conversations démarrent. Comme chaque année, pour se chauffer, elles discutent vite fait de leurs carrières, des paroles désagréables de leur chef, du petit jeune de la compta au beau petit cul ou encore de l’assistante en minijupe et au décolleté plongeant qui espère une promotion. Sans queue ni tête,  Maria déclare alors fièrement que ses jumeaux ont tous deux eu leur bac  avec mention très bien mais que tous les deux quittent le nid pour partir faire leur classe prépa l’un part en khâgne hypokhâgne et l’autre en math sup ! En pleurs, elle explique à ses amies qu’elle se sent triste, fière heureuse d’un côté mais aussi soulagée de se dire que ces petits grandissent bien et qu’elle va pouvoir démarrer une nouvelle vie avec son mari. Là-dessus, Louise la félicite et lui propose de vider leurs verres cul-sec pour fêter la nouvelle et pour alléger le cœur de Maria. Ce qu’elles firent toutes à la perfection. S’ensuivent les rires à profusion lorsque Louise s’étrangle avec une feuille de menthe. Rouge de ne pas avoir su respirer durant de longues secondes elle annonce qu’elle est amoureuse et qu’elle en meure. Silence dans l’assemblée même l’enceinte Bluetooth n’émet plus une seule note, le temps de passer de Cat Power à Lou Reed. Joséphine, curieuse souhaite des détails :

  •  Qu’est-ce que tu veux dire par là Louise ? J’ai comme l’impression que tu ne nous parles pas de Sylvain ? N’est-ce pas ?
  • Bah oui, les filles, je ne comprends pas ce qui m’arrive ! Je vous jure, je n’ai rien fait pour ! Ça m’est tombé dessus comme ça, sans prévenir !
  • Vas-y, des détails, des détails Louise ! Ricane Géraldine tout en préparant d’autres Mojitos.
  • J’aime pas quand tu me parles comme ça Géraldine, j’ai l’impression que tu me juges !
  • Mais non ma poule, mais ça me fait marrer que c’est toi la première du groupe  qui fait ce genre d’annonce, de nous quatre, t’es quand-même la cul-bénie de la bande ! Fous-rires !
  • Tu vas quand même pas te faire prier ! T’en as trop dit ou pas assez Louise, allez ! Crache-là ta valda ! Renchérit Maria
  • Bon allez, je me lance ! Tout à l’heure, je vous ai parlé de ce petit jeune à la compta qui est arrivé il y a trois mois !
  • Noooooon, mais il a quel âge !
  • Dix-neuf ans….
  • Non mais tu pourrais être sa mère !
  • Je sais, tu crois que je n’y ai pas pensé, je vous dis, je n’ai rien planifié !
  • Louise, la cougar ça pourrait être le titre d’un film.
  • Non mais arrêtez de m’charrier, sinon je ne vous raconte pas la suite !
  • Ah non, là ça serait dommage, je veux savoir !! Alors ouvrez grand vos écoutilles les filles !

La nuit commence à tomber, les quatre amies se sont regroupées au centre de leur nappe, il n’y plus rien à grignoter à part des chocolats, des cacahuètes caramélisées et du rhum à gogo. Beaux restes. Les lumières vacillent mais tiennent le choc, la musique confine leur intimité. Genou contre genou, tête contre tête, Louise révèle ce qu’elle a de plus secret.

  • J’arrivai au bureau, initialement en colère contre mon boss, une vraie tête de mule celui-là ! J’étais bien décidée à lui dire que j’en avais assez de travailler dans ces conditions, que je voulais de la reconnaissance pour mon travail et une augmentation pour toutes les charges et responsabilités supplémentaires qu’il me mettait sur le dos depuis un an.
  • Tu n’as pas encore commencé que déjà tu t’égards, la coupa Géraldine.
  • Oui, oui, c’était juste pour te dire, dans quel état d’esprit j’étais…
  • Continue ma belle, l’incita Joséphine.
  • Donc en bref, j’étais en colère, une vraie furie. J’arrive à deux pas du bureau du chef, d’un pas décidé et franc, sûre de moi quand tout à coup le beau petit cul qui faisait face à la photocopieuse se retourne. Le stagiaire de la compta. Je me suis arrêtée, je ne sais pas pourquoi, face à lui. Liquide. Je lui bafouille un « bonjour, t’es qui toi ? » il me répond « je m’appelle Julien ». Vous entendez les filles, il s’appelle Julien !
  • Bah oui et alors ? demanda Géraldine.
  • Tu as eu l’impression d’être dans le Rouge et le Noir, c’est ça ? Julien Sorel et Louise de Rênal ? Précisa Joséphine.
  • Oui, carrément !
  • Bon et puis, le petit cul, il te dit quelque-chose de plus ?
  • Bah là, non, parce que ce con de chef ouvre sa porte au même moment en me lâchant un « qu’est-ce qu’il y a encore Louise ? » Bah du coup, je ne savais même plus comment je m’appelais, alors je lui ai répondu « rien ».
  • Nan, t’es trop forte, la gonzesse quarante ans, sûre d’elle sur ses petits talons aiguilles de dix, engoncée dans son tailleur Yves Saint Laurent voit un môme de même pas vingt piges et elle en perd son latin, j’hallucine, du coup pas d’augmentation ? Questionne Maria.
  • Bah non… Mais c’est pas ça le plus important, si ?
  • Non, non vas-y raconte nous Madame de Rênal, il  s’est passé quoi après ?
  • Tu me crois ou non, mais on a quitté le bureau à la même heure, le soir, donc  on s’est retrouvé sur le parking en même temps, juste côte à côte. Et là le gamin, il n’a pas manqué de culot.
  • Ah bon pourquoi !! Qu-est-ce qu’il t’a dit ou qu’est-ce qu’il t’a fait ?
  • Il a bafouillé lui aussi figurez-vous !
  • Et il a bafouillé quoi ?
  • Si je voulais boire un verre avec lui !
  • Et alors ?!
  • C’est bizarre, ce que j’ai ressenti à ce moment-là. C’était comme si plus rien n’existait. Comme si j’avais de nouveau quinze ans. Je n’avais plus de mari, plus de gosse, plus de ride. Juste des papillons plein le ventre et une carte bleue.
  • Donc…
  • Je lui ai dit ok, on s’est retrouvé dans un pub, dans le centre-ville de Lille et… on a bu un verre.
  • Et c’est tout ?
  • Ce jour-là, oui !
  • Mais pourquoi, tout à l’heure tu as dit que tu étais amoureuse et que tu en mourais.
  • Parce que c’est un amour impossible ! Il a vingt ans de moins que moi, c’est un truc de dingue les filles.
  • Ok ,ok mais t’as couché avec ou pas ?
  • Bah…oui, trois fois.
  • Trois fois en trois mois ?? S’esclaffa Géraldine.
  • Non trois fois en une soirée, le lendemain,  et puis plus rien.
  • Oh quelle santé ! mais pourquoi plus rien, interrogea Joséphine.
  • Parce que c’est pas possible les filles, je suis tombée amoureuse mais c’est pas un mec pour moi. Quand je le vois au bureau, je sens son odeur, je vois sa silhouette partout. Il me rend folle, je ne suis plus capable de rien. Aucune concentration. Une vraie ado ! Je peux pas faire ça !
  • Pourquoi ?
  • Bah, déjà je pourrais être sa mère ! j’vais pas lui pourrir sa jeunesse ! Et puis, je te rappelle que j’ai un mari, des enfants, un foyer…
  • Donc l’affaire est réglée ! C’est quoi le problème ?
  • Je fais tout pour le voir au bureau, au détour d’un couloir, de la machine à café, sur le parking, au self… si je ne le vois pas une journée, je suis malheureuse. J’ai besoin de le voir !
  • Bah revois-le ! Propose-lui un rancard !
  • Je peux pas, tu comprends pas c’est compliqué, Maria !
  • Oh la la, je te connais ma Louise, il y autre chose que tu nous ne dis pas ! Lance Joséphine.
  • Vous savez, j’ai toujours des superstitions, des sensations… des ressentis
  • Et ?
  • Eh bien, c’est un peu fou, mais je suis persuadée que Julien et moi on se connait déjà en fait !
  • Comment ça ?
  • Je suis persuadée qu’on s’est connu dans une autre vie, une autre époque.
  • Comme deux âmes sœurs liées pour l’éternité ?
  • Oui, c’est ça, sauf que dans notre cas, nos âmes ont été maudites et n’ont plus le droit d’être ensemble. Donc tous les évènements, les astres, la météo, le quotidien nous empêchent de nous revoir, de nous aimer.
  • Tu crois vraiment un truc pareil ? Demande interloquée Géraldine.
  • Oui, c’est évident. Lorsqu’on est, qu’on était ensemble, tout était simple. Tout était intense, intuitif, évident. C’est comme si nos âmes communiquaient directement sans avoir besoin de nos corps en intermédiaires. Une véritable communion !
  • Je l’avais dit !! Un véritable cul-bénie notre Louise !
  • Arrête Géraldine, elle parle sérieusement là !
  • Oui, mais c’était trop tentant, tu me fais halluciner Louise, je trouve cette histoire magnifique et triste, alors du coup tu fais quoi ?
  • Bah rien, son stage est terminé. J’ai effacé son numéro de téléphone et je suis retournée dans ma vie. Après tout, je suis heureuse. J’ai pas compris, c’était bon, c’était bref. Je suis tourmentée, je souffre… mais ça passera, hein les filles, ça passera ? Rassurez-moi ?
  • Oui, Louise, et ça passera encore mieux avec un petit rhum, pur pour le coup !

Les quatre quadras se dirigent vers la mer, leur verre de rhum à la main. Elles titubent, chantent. Le vent leur caresse le visage, l’iode les enivre encore plus. Joséphine s’avance encore plus. Elle s’enfonce dans l’eau bleue nuit, persuadée d’y avoir vu un objet briller. Elle tend le bras, ivre, elle tombe mais l’attrape. Les autres la rejoignent en nageant, intriguées.

  • C’est quoi Joséphine ?
  • Une bouteille en verre, avec une lettre !
  • Sérieuse ?
  • Oui, oui je vous jure, il y a une bouteille à la mer !

Au pas de course, elles se dirigent vers le sable, sur leur nappe et torches. Louise s’essuie les mains, ouvre la bouteille et sort délicatement la feuille de papier vieilli. Le parchemin est bien sec mais jaune d’avoir tant attendu que quelqu’un le découvre enfin.

  • Alors ??? crient les trois autres en chœur.
  • Vous n’allez pas me croire !
  • Montre !

Quelque-part en France, 1930.

Mon cher Julien,

Nous nous sommes rencontrés il y a quelques jours à peine mais j’ai pourtant l’impression de vous connaître depuis toujours. Votre peau, votre odeur, vos cheveux me troublent. J’ai à ce jour un âge bien plus avancé que le vôtre au point que notre relation n’est pas permise d’exister. Il est sûr que je vous aime Julien. Mais cet Amour aussi magnifique et puissant soit-il est maudit. C’est le cœur brisé et meurtri que je vous annonce que nous devons nous quitter même si loin de vous je meure doucement.

Votre bien-aimée

Louise

  • Je vous l’avais dit les filles, un amour maudit de Stendhal qui hante pour l’éternité ! Je vais en mourir, le roman est déjà écrit !

 

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