Je suis seule sur ce chemin de terre, nous sommes la veille de mes trente-deux ans.
Il est dix heures du matin, je cours. A ma droite des vignes s’étendent à perte de vue. A ma gauche, une forêt sauvage.
Je cours depuis une demi-heure déjà, je n’ai croisé personne. Ni promeneur, ni jogger, ni voiture, ni oiseaux.
Soudain, une Renault Clio me double, le soleil m’éblouit, j’ai chaud. La voiture s’arrête sur le bas-côté. J’aperçois deux silhouettes à l’avant. Curieuse, je me demande qui sont ces personnes, peut-être des touristes qui cherchent leur camping ? Ou bien un couple avec un chien qui veut entreprendre une marche dans la forêt ? Finalement, il sera tout autre.
J’arrive à hauteur de l’habitacle. Ils sont deux. Deux hommes.
Ils portent tous les deux des lunettes de soleil, ils ont les cheveux très courts. L’un deux porte la barbe. L’autre non. Ils ne se parlent pas. Ils ne regardent aucune carte. Il n’y a pas de GPS allumé dans leur voiture. Pas de chien. Ils sont assis, regardent droit devant eux. Ils ne bougent pas. Leur ceinture de sécurité est bouclée.
Je passe.
Leur voiture redémarre. Ils me doublent. Ils passent devant moi. Le véhicule s’arrête sur le côté gauche du chemin. Encore.
Toujours ces vignes, toujours cette forêt.
Que dois-je faire ? Dois-je faire demi-tour ? Dois-je de nouveau passer devant eux ? Les écouteurs que j’ai dans les oreilles entonnent « The show must go on » de Queen. Je fais mon choix. Je ne fais pas marche arrière. Je continue droit devant moi. Je baisse le son de ma musique. Je passe devant cette voiture. Je passe devant ces deux hommes. Le moteur est éteint. Ils ont retiré leurs ceintures de sécurité. Je passe. Je les regarde. Ils me regardent. Je les ai dépassés d’une quinzaine de mètres. Leurs portières s’ouvrent et claquent. Je me retourne. Ils sont tous les deux dehors de leur véhicule, ils se mettent à courir en ma direction.
Quel choix dois-je faire à ce moment –là ?
Je regarde mon smartphone, j’essaie de le déverrouiller pour appeler les secours. La transpiration de mes doigts rend tout contact avec l’écran impossible. Rien ne se passe. J’accélère. Le soleil brûle ma peau. Ma sueur brule mes yeux. Mon cœur bat la chamade.
J’ai choisi.
Certainement, ce choix n’était pas le plus judicieux vu de l’extérieur. Tel un scénario de série B, je me dirige vers la forêt. J’ai sur moi ce t-shirt rose fluo. Je me sens vulnérable. J’ai peur. Des fourmis s’emparent de mes jambes, de mes bras. Ma tête me dit de courir le plus vite possible en direction de la route nationale qui est à environ cinq cents mètres. Il est des fois où cinq cents mètres vous paraissent un marathon. Il est des fois où cinq cents mètres vous paraissent la dernière distance à parcourir pour continuer de vivre. Il est des fois où cinq cents mètres vous paraissent inatteignables. Ils sont derrière moi. Ils marchent vite. Ils m’appellent en disant qu’ils finiront par m’attraper. J’ai froid. Mon cœur bat si fort que j’ai l’impression qu’il est dans ma tête. Mes jambes font des bonds, je m’accroche aux arbres dans chaque virage. Mes mains sont écorchées. Je me retourne, j’arrive à les distancer de plus en plus. Ils commencent à m’insulter et à décrire ce qu’ils feront de mon corps une fois qu’ils m’auront attrapée. Ça n’est plus qu’une question de minute. Deux cents mètres maintenant. Une minute. Une chance de vivre .J’arrive à m’éloigner d’eux un peu plus à chaque pas. Ils me traquent. Je me jette au sol. Je suis dans les ronces. Je rampe. Mes avant-bras me font souffrir, je sens les épines entrer dans ma peau. Le sang coule le long de mes jambes. Ils ne me voient plus. Je les entends hurler, ils se disputent en se reprochant mutuellement de m’avoir laissé filer. Je progresse dans ces morceaux de bois, de branches et de feuillages qui me fouettent le visage. J’entends des voitures passer. Je sens des gaz d’échappement. Vingt mètres, dix secondes. Je me redresse. Je saute au-dessus du fossé. Je traverse la route nationale à la vitesse d’Usain Bolt. Je suis en vie.